Jeremie

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Interview réalisé en février 2002 auprès des parents de Jérémie B. (dépt 06)

Jérémie est né le 29 mai 1995, avec un pied bot varus équin à droite sévère (Note de 14/20) et une adduction très prononcée. Nous avons appris la nouvelle à la naissance et il y avait des prédispositions familiales.

Lorsque Jérémie est né, mon mari a eu peur devant l'ignorance du problème et devant l'appareillage qu'il avait (une barre de fer lui tenait les deux pieds). Quant à moi, j'ai été très angoissée à l'idée d'avoir mis au monde un enfant handicapé. Je n'ai pas compris tout de suite la portée de cette pathologie. L'entourage a eu peur sans pour autant en faire une affaire d'état.

Psychologiquement, je suis passée par des moments difficiles. J'avais d'abord la "grande" à m'occuper. Comment faire pour ne pas léser l'enfant quand on se trouve isolé de la famille? Quel rôle peut ou doit jouer l'enfant vis-à-vis de son frère, de son handicap? Comment lui expliquer, alors que nous-même nous découvrions au fur et à mesure les rééducations propres au pied bot? L'enfant souffre-t-il? C'était une question quotidienne. Et après une prise en charge quotidienne pendant plus de 4 mois à Pallavas, je me suis retrouvée seule, comme abandonnée par le corps médical. Les séances quotidiennes chez le kiné étaient presque un soulagement.

Les étapes dans le travail des kinés ont été variées. A la naissance, à Nice, la barre de fer entre les jambes. Arrivée à Montpellier (Institut marin de Pallavas) : massage le matin pendant une petite heure par la kiné, puis installation de l'enfant sur la machine passive, le Kinétec® :la machine s'arrête dès que l'enfant exerce une pression quelconque. L'après-midi, de nouveau massages directs et doux de la kiné pendant 30 minutes. Comme je rentrais à la maison à Nîmes tous les jours afin de m'occuper de ma fille en dehors d'un milieu hospitalier, la kiné me prêtait la machine pour le soir et la nuit, qu'elle programmait par-rapport aux progrès de Jérémie; elle préparait également l'attèle avec la plaque en forme de T placée sous le pied qui permettait à l'enfant d'être "accroché" à la machine .Je devais donc le remettre sur la machine dès mon arrivée au domicile  et ce jusqu'au lendemain matin dans la mesure du possible. Cette rééducation fut quotidienne et dura 4 mois et demi.

Ensuite, nous devions aller chez le kiné tous les jours, même le dimanche : massages travaillant la mobilité du pied, sa flexion, l'élasticité du tendon d'Achille. Il lui mettait ensuite une petite plaque a la forme de son pied en métal qu'il insérait dans une attèle en flanelle(pour la douceur sur la peau)et en élastoplast® : cette kiné a duré jusqu'à la veille de l'opération (6mois)

Une fois par mois, pendant une semaine, nous retournions à Pallavas pour reprendre le travail passif sur le kinétec® +la kiné manuelle du kinésithérapeute. Après l'opération, il y a eu une semaine de kinétec®, puis de nouveau kiné tous les jours à Nîmes pendant 1 an; ensuite espacement des séances de kiné : 3 à 4 fois par semaine. Fin de la kiné à l'âge de 3 ans et demi, mais port quotidien de chaussures orthopédiques de type CHUP.

Après la deuxième opération, nous en sommes à 3 séances de kiné par semaine pour l'instant mais dès que le kiné jugera qu'il a repris une musculature satisfaisante, Jérémie aura 4 séances par semaine .

Jérémie a eu deux opérations :

1ère opération à 10mois et demi : allongement du tendon d'Achille et remise en place de certains muscles, 1 broche dans le talon; plâtre pendant 35 jours . Jérémie a peu souffert car la prise en charge de la douleur à l'hôpital Lapeyronie est une priorité (il a eu une anesthésie rallongée de 24h grâce à une technique de "péridurale" . Il a eu un redon, enlevé au bout de 3 jours; ensuite surveillance à la maison du plâtre soft avec jambe surélevée; 7 jours après l'opération, nouvelle anesthésie pour changer le plâtre et en mettre un en résine. Ablation du plâtre et de la broche au bout de 35 jours sans anesthésie car la broche était extérieure.

Cette opération fut pénible, car longtemps retardée ; et la veille de l'hospitalisation nous avons reçu un appel du secrétariat du professeur qui nous "indiquait" que la date de l'opération était reportée dans 15 jours! Mon mari n'aurait donc plus de vacances pour m'épauler, ma fille a dû être gardée par mes parents à Nice(nous habitions à l'époque à Nîmes) pendant plus de 3 semaines et donc moi, j'ai fait une crise géante de psoriasis pour la première fois de ma vie (et j'en ai encore aujourd'hui malgré des traitements lourds ).

La rééducation post-opératoire fut aussi pénible: le kiné n'était pas doux, nous étions tous fatigués(cela faisait plus d'un an que nous agissions au quotidien, que nous pensions pied bot tous les jours), et notre couple avait du mal à fonctionner : mon mari s'est lancé dans le travail ,a peu parlé du problème de son fils et ne s'est pas du tout montré disponible !Pour la rééducation, il a pourtant dû prendre le relais, puisque je me suis retrouvée avec une grosse fatigue nerveuse: je ne pouvais plus supporter de voir et d'entendre mon fils pleurer pendant les séances. La première année fut certainement la plus douloureuse, la plus culpabilisante (il faut faire le deuil d'un enfant comme les autres).

2ème opération à 6 ans et demi : plus douloureuse compte tenu du travail effectué : libération plantaire élargie type Stendler plus 2 broches dans la colonne interne le 24.10.01 à Montpellier, comme précédemment effectué par le professeur Diméglio. Il eut une anesthésie de 4h00et au réveil, il a bénéficié de la technique nouvelle du "biberon" : c'est un fil d'ange inséré dans le nerf de la jambe concerné qui diffuse grâce à un biberon des doses de morphine en continu. La douleur fut très forte à la sortie de la salle d'opération, mais ce système a permis une très forte diminution de celle-ci en peu de temps(10mn environ) .Ajout de morphiniques de prodafalgan toutes les 6 heures pour les 24 premières heures, ensuite à la demande selon le niveau de douleur éprouvé par Jérémie(comme il avait du mal à situer sa douleur entre 0 et 10, nous avons adopté tous les deux une notation correspondant à celle de sa maîtresse, de A à E .)

Il a vite récupéré compte tenu de l'opération et de l'anesthésie. Il avait un redon, enlevé au bout de 3 jours et sortie 4 jours après l'opération avec un plâtre soft : retour sur Nice pour 5 jours, puis de nouveau anesthésie pour changement de plâtre en résine. (retour le soir même sur Nice). Nouveau changement de plâtre 30 jours plus tard sous anesthésie générale: aller-retour effectué dans la journée.

30jours après, ablation des broches et du plâtre sous anesthésie générale : il a 6 points à cause des broches, et une belle cicatrice ; retour le soir même. 15 jours plus tard, visite dans le service du professeur Diméglio. Jérémie est actuellement en rééducation. Sachant qu'on lui a enlevé le plâtre et les broches le 26.12.01, il a fait du vélo le 02.02.02 pendant 1h30mn!!

Cette deuxième opération fut difficile car il a fallu gérer l'âge de Jérémie et le fait que cette opération ne lui apparaissait pas comme évidente : les suites directes de l'opération furent pénibles à admettre; mais la famille entière s'est regroupée pour aider au mieux Jérémie.

Nous avons deux types de contrainte : contraintes physiques avec 3 à 4 séances de kiné par semaine et contraintes financières : nous avons dû vendre nos meubles pour soigner Jérémie (J’étais étudiante à l’époque et la sécurité sociale ne nous a pris en charge à 100% qu’au moment de la seconde opération) et nous attendons actuellement le remboursement des frais de transports de l'opération notamment qui viennent d'être refusés par la C.P.A.M de Nice (plus de 7000,00francs!) Nous allons passer devant une commission...

Jérémie a quelques séquelles, notamment l'aspect du pied toujours assez masse, mais il a encore un oedème, notamment au niveau de la cheville. Il a 2 pointures et demi entre les deux pieds (avant l'opération elles étaient au nombre de 3 et demi!)

Il a une hypotonie du mollet droit, mais l'opération a libéré le jambier antérieur : nous attendons donc... Il n'a pratiquement pas d'abdominaux du coté droit, mais comme pour ci-dessus à voir.

Sinon, Jérémie vit assez bien ce problème. C’est un enfant volontaire et je dirais "cérébral"; de fait il objectivise au maximum la situation,  certes sa différence de pointure le gêne quelquefois, à cause du regard des copains, mais c'est très passager. Lui et moi avons fait un exposé dans sa classe sur le pied bot et sur sa future opération : cela a permis de créer un dialogue très enrichissant avec ses camarades, avec sa maîtresse et surtout avec lui-même ! Cela a était une étape importante dans la reconnaissance  non pas de sa différence, mais précisément de sa  "normalité à lui"comme nous lui disons souvent.

Je voudrais maintenant transmettre un message positif aux parents. Evidemment qu'un enfant qui a un pied bot est une personne à part entière et que l'amour se fiche pas mal de petits travers aussi peu significatifs qu'une anomalie physique. Avec le temps; on oublie de penser au pied bot et l'enfant apparaît dans toute sa beauté.

Je voudrais également dire que cette aventure nous a amené, toute notre petite famille, sur un terrain insoupçonné, où l'amour revêt de nouveaux aspects, où les mots ne peuvent traduire son intensité et sa spécificité : notre vision du monde a changé et a rendu le quotidien extra-ordinaire, et nous nous sommes révélés un peu plus à nous même à travers nos forces et nos faiblesses et je remercie chaque jour Jérémie de ce qu'il nous a apporté bien malgré lui...

Enfin, et pour conclure, je voudrais juste dire que la première année est éprouvante sur beaucoup de points, que la culpabilité occupe une place importante (et fort déplacée pourrais-je dire avec du recul)et que le manque d'une prise en charge psychologique dès la naissance de l'enfant est fort regrettable : le pied bot n'est pas considéré comme une pathologie traumatisante et c'est à tort. Comme je dis à ceux qui me disent que le pied bot ce n'est rien et que cela se soigne très bien aujourd'hui : "tout d'abord que lorsqu'on ne sait pas de quoi on parle, il vaut mieux se taire, ensuite qu'à partir du moment où il y a "défaut", "accident" à l'arrivée d'un nouvel enfant, c'est une blessure ouverte. Car voir un bébé subir des traitements, des manipulations, des examens et des douleurs quotidiennes, c'est un choc.

Dire que cela n'est rien c'est manquer de respect au travail de tous ceux qui se battent pour que l'enfant ne reste pas handicapé et bien-sûr aux enfants eux-même.  Dire que c'est atroce, c'est disproportionné et c'est manquer de respect à tous ceux qui ont de lourds handicaps ou de graves maladies. La juste mesure n'existe pas et il est des jours où avoir un pied bot paraît peu de choses et il est des jours où cela semble terriblement injuste.

Un jour, j'ai entendu ceci et j'ai trouvé que cela résumait assez bien la situation : "Quand on a un enfant "différent", c'est comme si toute sa vie on rêvait d'aller à Venise et que lorsque ce voyage arrive, la seule destination possible soit le Canada: Vous avez deux solutions : soit vous pleurez toute votre vie de ce rêve perdu, soit vous essayez de connaître ce nouveau pays qui vous paraît hostile, et puis vous commencerez à le connaître, puis à l'aimer, et un jour vous vous rendrez compte que le Canada, c'était l'Aventure de votre vie..."

Si vous le souhaitez, vous pouvez me contacter à l’adresse email suivante : b.so_chez_wanadoo.fr

 
Dernière modification : 13 février 2005
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